Temps de jeu:
5898 minutes
[h1]L'éternel retour[/h1]
C'est bien connu, le Malin dissimule toujours ses intentions. Ce qui est plutôt normal, sans quoi ce ne serait pas le Malin mais le Crétin, et franchement vous imaginez Lucifer choir du Paradis avec un regard de poisson mort, la bouche entrouverte, un filet de bave au coin des lèvres en criant "gnéééé, gne compran pas pourkoi gne tombe" c'est pas possible, paye la gueule de Paradise Lost. Non, le Diable est toujours malin, c'est comme ça.
Le reboot de 2016 nous avait déjà pris par surprise : on s'attendait à un FPS crossplatform générique avec du gore et du metal en plus, et on a eu le meilleur shooter AAA de ce millénaire. Je me méfiais également un peu de ce Doom Eternal. Oh, ça allait certainement être un bon jeu, pas de raison, mais qu'allait-il pouvoir apporter de plus à la formule a priori parfaite inaugurée en 2016 ? Rien, ou si peu; un pack de niveau vendu 40 euros. Bon, on va couper court et ne pas tergiverser plus longtemps : ce n'est pas le cas. Du tout. Rentré chez moi avec trois heures de Doom Eternal (et autant de bus RATP, mais c'est une autre histoire) dans les doigts, j'ai relancé l'ancêtre comme ça, pour voir, pour comparer. On va maintenant voir pourquoi, ce serait dommage de se quitter si vite.
Les combats de Doom (2016), qu'on va désormais appeler Doom tout court parce que tout le monde sait qu'on ne parle pas de celui de 1993, reposaient sur un grand principe, qui les différenciait de ceux des autres FPS. Au lieu de récupérer des vies en ramassant des objets, comme dans un shooter à l'ancienne, ou par régénération progressive, comme dans un CoD-like, on se soignait en tuant. Le Doom Slayer perdait des vies très rapidement mais pouvait, d'un seul "glory kill" administré avec talent, récupérer assez de points de vie pour passer de 0 à 100 plus vite que n'importe qui sur le périph'. Ajoutez à cela des combats en arène qui empêchent le joueur d'aller se planquer comme un gros lâche dans la pièce à côté, des ennemis agressifs comme c'est pas permis et vous obtenez une formule incroyablement efficace, un précipité de FPS pur, dépouillé de toute fioriture, dans lequel on vit et on meurt uniquement par le combat, et où l'on n'a pas intérêt à s'arrêter de bouger une seule seconde. Doom Eternal ne change pas le vieux pot, mais ajoute un peu de crack dans la confiture. Comme l'expliquait le game director Marty Stratton, les combats de Doom ont toujours été des sortes de puzzles, des parties d'échecs en temps réel dans lesquels le joueur doit être capable de planifier sa prochaine action en une fraction de seconde. C'est encore davantage le cas dans Doom Eternal : comme dans l'épisode précédent, achever un monstre d'un glory kill offre un bonus de vie, et le tuer à la tronçonneuse apporte un surplus de munitions. Mais si cette dernière arme restait jusqu'alors d'un usage exceptionnel, il est désormais impératif de la sortir à chaque combat sous peine de se retrouver constamment à court de cartouches, tant la quantité de munitions qu'on peut transporter est faible. Nouveauté qui complète le tableau, le joueur dispose maintenant d'un lance-flammes qui rôtit les ennemis et leur fait lâcher des bonus d'armure. Voilà, vous commencez à avoir une idée de ce à quoi ressemblent les combats de Doom Eternal.
Les arènes de Doom Eternal sont beaucoup plus difficiles que celles de Doom, et la gymnastique mentale qu'elles exigent beaucoup plus rapide. Anticiper les cooldowns de la tronçonneuse et du lance-flammes (ainsi que l'équipement : grenades, orbes de glace...) pour recharger les munitions au bon moment, savoir quand dégommer de la piétaille pour faire le plein de vie au risque de s'exposer aux tirs du gros balèze qui l'accompagne est déjà bien compliqué. D'autant qu'en plus des choix tactiques, qui visent à garder le contrôle du flux du combat, se trouvent imbriqués un nombre considérable de micro-choix : tuer le mancubus en premier certes, mais comment ? A l'ancienne, en le criblant de plasma sans cesser un instant de courir ? Ou bien en commençant par désactiver ses lance-flammes de deux balles de fusil de sniper bien placées, ce qui permettra certes de le mettre hors de combat immédiatement (presque tous les démons ont maintenant un point faible : le canon des arachnotrons peut être détruit, les cacodémons avalent les grenades qu'on leur lance dans la bouche...), mais obligera un joueur moyen à ralentir, et donc à prendre un sérieux risque ? Et puis il y a les différentes armes, qui répondent chacune à un besoin particulier. Plus de flingues inutiles comme le pistolet, ici chaque pétoire est un outil qu'il faut régulièrement sortir de sa boîte, de la mitrailleuse qui cloue les ennemis sur place au super shotgun avec son grappin qui permet de se rapprocher instantanément d'un ennemi distant. En face, de nouveaux ennemis, comme ces serpents ultra rapides ou les gargouilles, variantes ailées des imps, apportent des défis tactiques inédits. Bref, vous l'aurez compris, tout cela est aussi riche que satisfaisant.
Les trois premiers niveaux, m'ont suffi à prendre conscience que les environnements de Doom Eternal sont beaucoup plus variés que ce à quoi la franchise nous a habitués. Le jeu débute, bien sûr, sur Terre, dans un niveau très vertical rempli de gratte-ciel en flammes. Pour nous voilà dans la forteresse des sentinelles, temple envahi par la végétation avec un petit air de Darksiders 2. Et c'est reparti enfin pour le temple d'un prêtre maléfique perdu en plus Antarctique, dont les couloirs glacés sont hantés par une merveilleuse réorchestration du thème de E2M6 (les vétérans de Doom 1 comprendront). Premier point commun entre tous ces environnements, à part leur beauté : la richesse du level design, qui utilise intelligemment les nouveautés du gameplay aussi bien dans les arènes qu'entre les combats. Chose rare dans un FPS, les séquences de plateforme sont... bon, je ne vais aller jusqu'à dire agréables, mais plaisantes, en partie en raison de la grande tolérance dont le jeu fait preuve à notre égard mais surtout parce que ces dernières s'intègrent parfaitement aux phases d'exploration : il est très agréable, une fois qu'on a deviné à peu près où se trouvait une zone secrète, de chercher le parcours (le parkour ?) qui nous y mènera. L'autre point commun entre tous ces niveaux, qui achève de différencier Doom Eternal de tout ce que la franchise a produit jusqu'à présent, c'est que je n'avais aucune idée de ce que j'y faisais. id Software voulait enrichir le lore de Doom, c'est chose faite : on se rend d'un point du globe à l'autre via le portail installé dans la Forteresse de la destruction, QG du Doom Slayer, sans trop savoir pourquoi ni comment, pour y être accusé de ne pas avoir respecté les règles d'une bureaucratie céleste incompréhensible, et les quelques logs qu'on ramasse au fil des niveaux ne nous aident pas beaucoup. Sinon, au pire, on aura eu la chance de jouer au premier Doom dont le scénario est plus ésotérique qu'un Dan Brown. Et probablement à l'un des meilleurs FPS de ce millénaire.
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