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2704 minutes
Ce jeu fonde, selon moi, une facette bien importante de notre société moderne : celle de la masculinité. On y voit non seulement un être qui, à travers les royaumes, se trouve à avoir malgré lui une notoriété, un titre qui crée une tentation chez les autres : celui du Dieu de la guerre, un Dieu cruel, ravagé par une colère sans nom.
De fait, Kratos incarne la puissance brute, mais ce pouvoir lui a coûté cher : sa famille, son honneur, son humanité. Dans cet opus, il tente non pas d'effacer son passé, mais de le porter. Son corps est scarifié, lourd de conséquences, et pourtant il avance. C’est une figure tragique et pas seulement au sens antique du terme, mais aussi dans un sens existentiel : un homme qui a vu le fond de lui-même et qui doit maintenant guider un autre être sans répéter ses erreurs.
En effet, dans cet opus, nous voyons Kratos endosser un rôle qui ne demande pas simplement d'être stoïque et invulnérable. Ce rôle est celui d’être père. Atreus, c’est l’innocence, mais aussi l’héritier du chaos. Il est le miroir de Kratos. Le passé cherche à contaminer l’avenir. Chaque geste, chaque mot de Kratos est un combat silencieux contre lui-même : ne pas répondre par la colère. Ne pas écraser. Ne pas devenir ce qu’il fut. Le jeu tout entier devient alors une allégorie du poids des choix, du coût de la puissance, et de la lente reconstruction de l’éthique personnelle.
Le gameplay renforce cette idée : chaque coup porté est lourd, pesé, jamais gratuit. La hache Leviathan, revient dans la main comme une mémoire qu’on ne peut rejeter. On pourrait l’interpréter comme le symbole de son passé : il a beau la lancer loin, elle revient toujours. Il faut apprendre à la manier autrement.
Le jeu propose ainsi une lecture profondément conséquentialiste : les actions ont un prix. Pas seulement pour celui qui les commet, mais pour ceux qui viennent après. Kratos n’est plus un dieu en quête de vengeance : il est un homme en quête de sens. Et c’est là que le jeu touche au sublime. Il nous parle de rédemption, mais une rédemption lucide, sans illusion, sans pardon total. Seulement le travail. L’effort. La présence.
Cette odyssée intérieure, enveloppée dans un récit mythologique nordique, devient alors universelle. Elle nous parle à tous : peut-on aimer quand on s’est tant haï ? Peut-on guider quand on a soi-même erré si longtemps ? Peut-on être fort sans être destructeur ? God of War est une œuvre sur l’après. L’après-violence. L’après-puissance. Et sur ce que cela signifie d’être un homme, aujourd’hui, confronté non plus à des dieux à abattre, mais à un enfant à élever et un passé à assumer.
C’est pour cette raison que je le place très haut dans mon estime. Le jeu peut avoir une apparence clichée : celle d’un homme fort qui détruit tout sur son passage, reflétant une masculinité toxique dans laquelle les émotions et la sensibilité doivent être enterrées au fond de l’être. Mais en réalité, on y parle du contraire : d’un homme qui, au-delà de sa prédisposition, au-delà de son passé, doit respecter les derniers vœux de sa femme. Et c’est une histoire pleine d’émotion, de développement. C’est l’un des jeux les plus pertinents que j’ai joués concernant la puissance symbolique qu’on peut lui attribuer dans notre société, où la violence est banalisée, où les extrêmes sont polarisants. On comprend qu’être un homme, être viril, ne dépend pas simplement de nos muscles ni de notre capacité à détruire, mais bien de notre capacité à construire, à bâtir le monde dans lequel nous voulons vivre. Ne pas rejeter nos émotions et les erreurs de notre passé, mais vivre avec et avancer.
Bref, une masculinité saine n'exclut pas la sensibilité, et on le remarque à travers l’éducation que Kratos propose à son fils, pour le meilleur et pour le pire. Une leçon fascinante, teintée de mythologie, qui reflète très bien les néo-religions contemporaines…
Je conseille fortement aux joueurs et aux joueuses d’essayer ce jeu. Il ne s’adresse pas exclusivement à un genre : au contraire, il offre une vision de la masculinité souvent difficile à formuler, et parfois complexe à saisir pour celles et ceux qui n’ont pas grandi avec ce type de pression. C’est justement en s’ouvrant à ce genre d’œuvre que l’on peut mieux comprendre certaines réalités intérieures, souvent mises sous silence, mais profondément humaines.
9.5/10
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